Une correspondance de poilu intéressante à plus d’un titre : le nombre de lettres concernées (345, dont 289 écrites au front) d’une part ; la particularité de l’auteur d’autre part : pacifiste, il ne refuse pas d’accomplir son devoir de citoyen mais fait le choix de servir « sans arme », au sein du Service de santé.
Dans sa présentation, André Suarès souligne l’intérêt que Jean Norton Cru portait à ce témoignage et rappelle : « Il n’a pas voulu être officier, lui qui devait l’être naturellement, et qui en fut dix fois sollicité. Il s’est rangé lui-même dans le corps du secours et du dévouement. Ici les grades ne sont rien. Je l’appelais Jean le Secourable ». Dans la première lettre, datée du 3 septembre 1914, il annonce à ses parents sa décision de s’engager (« Au fond, ce qui m’a guidé, ce n’est pas un patriotisme instinctif : c’est la recherche seule d’idéal social et d’humanité. Il m’a semblé que pour le but que je poursuis, il y avait avantage à ce que la France soit victorieuse et que je combatte »). Passé à sa demande dans une unité d’active, le 19e bataillon de chasseurs, il fait preuve d’un souci permanent de ses camarades et d’une grande curiosité pour tout ce qui l’entoure, mais, bien malgré lui, passe l’année 1915 au dépôt de l’unité, à l’intérieur, tout en lisant beaucoup. Il se lance même dans la cuisine pour les malades, quitte à acheter les produits nécessaires avec son propre prêt du soldat. Quelques constats aussi, comme lorsqu’il assiste à une instruction sur le tir avec mitrailleuses : « Deux mitrailleuses qui marchent bien peuvent arrêter un bataillon de 1.500 hommes : mais très souvent des pièces cessent de tirer, l’incident est normal ». Puis, c’est l’installation dans l’arrière-front et les exercices d’entraînement, souvent peu convaincants, surtout des marches avec, selon les secteurs, une amélioration progressive des conditions d’installation : « Nous sommes à peu près au même endroit que nos prédécesseurs, mais dans un bivouac au milieu d’un bois ; bivouac moderne, sous terre, et bien installé, à demeure ; et derrière chaque gourbi, un abri de bombardement ». Il nous présente cette batterie d’artillerie lourde, qui ne tire presque pas ; il décrit plusieurs combats aériens au-dessus des lignes et le tir d’autocanons antiaériens. Une vie d’immédiat arrière-front : « Je suis bien fatigué le soir quand je me couche ; je dors peu, mais bien ; je mange mal, mais suffisamment ; je peux me tenir propre et je suis dispos quand je me réveille ». Affecté au 59e bataillon (reconstitué) en juillet 1916, dont il dépeint avec verve et une réelle affection le personnel de santé, mais toujours dans un secteur assez tranquille, ce qui le désole car il a le sentiment de ne pas pouvoir faire assez : « Je n’arrive toujours pas à aller au feu : c’est pire qu’un vaudeville. Je me demande si la guerre finira avant que j’aie pu en voir la partie la plus réputée ». Finalement, Jean Pottecher passe de longs mois très proche du front, mais sans jamais être dans un secteur particulièrement actif. Il décrit néanmoins la mise en place d’une attaque au gaz, les espoirs soulevés par l’entrée en guerre de la Roumanie, le dispositif allégé en toute première ligne, peut finalement suivre quelques patrouilles et alterne désormais entre première et seconde lignes. Il raconte également à la mi-décembre une « rencontre » et une conversation en avant des lignes avec deux Allemands mais aussi une pêche à la grenade qui tourne mal. Entre Vosges et Woëvre, le début de l’année 1917 est assez morose, sur fond d’initiatives diverses pour la paix. Les injustices et les fautes de commandement sont de plus en plus mal perçues et le quotidien se poursuit, dans le secteur d’Avocourt à la fin du printemps, avec quelques descriptions éclairantes de stratégies d’évitement et de croix de guerre injustifiées. Sans que l’on comprenne très bien pourquoi, les rotations entre première et deuxième lignes s’accélèrent (parfois à peine 24 heures) et finalement son unité est relevée quelques heures avant le début del’offensive à objectif limité du 20 août sur la rive gauche de la Meuse, alors que la compagnie compte « 62 malades pour un effectif de 128 », ce qui donne une idée du potentiel opérationnel effectivement disponible. A nouveau le secteur « si tranquille » de Mourmelon, les petits accrochages, les prisonniers, les blessés, les colis de la famille, le léger repli des Allemands dans le secteur de Vaux, la lutte contre la pluie et l’humidité, les bombardements intermittents, une morne régularité : « Rien de nouveau », « La situation reste inchangée »… Un secteur « qui fut héroïque, et qui était devenu agréablement casanier ». L’hiver 1917-1918 est assez tranquille, avec le passage ou l’arrivée de quelques contingents alliés, italiens et américains, et la routine des vaccinations et des visites médicales quotidiennes. Il reçoit de loin les échos des premières offensives allemandes du printemps 1918, tout en subissant dans son secteur quelques puissants bombardements par obus chimiques et en constatant les progrès de l’épidémie de grippe. Les déplacements s’accélèrent car désormais les attaques allemandes se multiplient en mai-juin face à son bataillon, et Jean Pottecher décrit la technique des troupes d’assaut ennemies qui manoeuvrent par les ailes sans s’arrêter pour réduire les résistances résiduelles : les unités sont épuisées, il est le dernier infirmier subsistant, chacun attend avec impatience l’entrée en ligne des Américains. Dans son esprit, c’est désormais la défense de Paris qui s’organise, la deuxième bataille de la Marne, le pillage des hameaux, la description des premiers FT17, le luxe relatif dont bénéficient les troupes américaines et dont il faut terminer l’instruction (« Ce matin nous manoeuvrâmes devant les Américains, un exercice qui ne ressemblait en rien à la réalité, et qu’ils ont admiré de confiance » avec ce contraste : « Ils ont une discipline ultra-prussienne dès qu’ils sont rassemblés, et plus aucun ordre, une absolue liberté quand ils sont sortis du groupement »). Il participe à la contre-offensive de juillet, et désormais progresse peu à peu avec l’appui de l’aviation et des chars. Mortellement blessé avec plusieurs de ses camarades, il décède le 25 juillet.
Un témoignage passionnant qui doit absolument être connu.
Pour acheter 1914-1918 Lettres d’un fils Un infirmier de chasseurs à pied à Verdun et dans l’Aisne
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