Les Dernières Nouvelles d’Alsace du vendredi 19 avril 2024, édition du Bas-Rhin
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Dans La 5e Colonne nazie, mythe et réalité, son huitième livre, l’historien Richard Seller signe un essai qui tire de l’oubli l’infiltration nazie entre 1933 et 1944. Subsistent des zones d’ombre que le spécialiste de la Seconde Guerre mondiale voudrait voir levées.
Pourquoi un essai sur cette 5e colonne nazie ?
Parce que l’étude approfondie de cette soi-disant 5e colonne nazie reste fascinante. On est dans un travail de définition et il faut savoir exactement de quoi l’on parle. Cette expression vient d’un général franquiste de la guerre d’Espagne dont les troupes, qu’il commande en 1936 sous les murs de Madrid, constituées organiquement de quatre colonnes, sont aidées d’une cinquième colonne de partisans franquistes déjà sur place dans la ville, qui permet d’assurer la victoire en prenant à revers, en leur tirant dans le dos, les combattants républicains assiégés. Quelques courtes années plus tard, un scénario identique, préparé de longue date déjà, est joué, mais de manière différente, toutes proportions gardées, en France, laquelle connaît alors la plus grande défaite militaire et politique de toute son histoire. Il me semble qu’aujourd’hui, rappeler cette période tragique de notre histoire contemporaine, alors que de lourds bouleversements géostratégiques et géopolitiques sont en cours au niveau de notre planète, est absolument nécessaire afin de bien comprendre ce qui se joue. Le fondement de l’Histoire est la recherche de la vérité.
« Des scènes fantaisistes » qui n’ont pas existé
La thèse que vous développez est qu’une véritable 5e colonne a bel et bien existé, activée par les Allemands. On s’éloigne du mythe, non ?
Le mythe, c’est l’existence d’un général nazi à la place d’un général franquiste qui veut investir une grande ville française dans la violence avec l’aide d’espions et de combattants locaux à la solde des Allemands, c’est l’existence de parachutistes nazis en civil venus par les airs pour espionner, saboter, assassiner, ce sont des religieuses à cornette que décrit Henri Verneuil en 1964 dans son film Week-end à Zuydcoote et qui montre dans les faits, sous des apparences de grand réalisme, deux hommes déguisés en robe de bure cachés dans les ruines d’une église bombardée, l’un en train de se raser devant un miroir qu’il tient de la main gauche, l’autre communiquant par morse sur un poste émetteur-récepteur !
Nous sommes là dans des scènes fantaisistes. S’il y a bien eu une 5e colonne nazie, celle-ci ne prend pas ces formes ci-dessus décrites et qui n’ont pas existé.
Quelle forme prendra l’infiltration dans cette France de l’entre-deux-guerres ?
On a vraiment envie de dire devant l’évidence de la situation politique, économique et sociale en France au cours de cette période de l’entre-deux-guerres, que l’infiltration allemande est facilement menée. La France est un pays fatigué à de nombreux titres. Nous savons cela et nous en connaissons les causes. La France est une vraie démocratie certes, mais la IIIe République est à bout de souffle au moment de la déclaration de la guerre en 1939. L’ennemie nazie est dans la place en France à de nombreux titres.
Le présent ouvrage le démontre. C’est ce qui en fait à mon avis le grand intérêt et aussi l’expression d’un énorme étonnement. Comment nos dirigeants de l’époque ont-ils perduré dans de telles illusions d’être les meilleurs et les plus forts afin de lutter et d’être sûrs de gagner contre des régimes à philosophie politique mortifère ?
On ne peut que rester confondu devant tant de légèreté, d’inconscience et de suffisance ! Je pense que c’est la radio qui a joué le rôle vraiment essentiel dans la communication, la propagande, afin de diffuser la voix victorieuse du nouveau Reich au cours des douze années de national-socialisme à travers le monde entier sous la férule du docteur et magicien radiophonique Josef Goebbels, ministre de la Propagande du Ille Reich !
Comment l’Allemagne nazie s’est-elle servie de la question d’une Alsace autonome pour tenter de diviser l’ennemi français ?
Cela a prévalu tout au long des années de l’entre-deux-guerres. Cela n’a pas été très difficile ni pour les nazis ni pour les Alsaciens appartenant à ces mouvements séparatistes. Les graves erreurs de psychologie des gouvernements français de l’époque vis-à-vis de l’Alsace qui sortait alors en 1918 d’une longue période d’annexion allemande avaient permis ces tentatives de division. Dès l’arrivée des nazis en Alsace en juin 1940, la partie était gagnée pour eux.
La gare ferroviaire de Bâle, « une nouvelle Jérusalem »
La Suisse était aussi dans le viseur de l’Allemagne nazie. Ce fait a-t-il eu une influence sur l’Alsace voisine ?
Je pense que oui. La gare ferroviaire de Bâle à cette terrible époque de désarroi, de misère et d’angoisse, faisait l’effet d’une espèce de « nouvelle Jérusalem » pour de nombreux Alsaciens qui voulaient, pour toutes sortes de raisons, fuir à tout prix le régime national-socialiste. Pour beaucoup de résistants par exemple, la Suisse représentait un espace de liberté, et surtout la possibilité d’avoir des contacts avec l’ambassade de Grande-Bretagne à Berne. De nombreuses tentatives sont faites à ce titre, mais avec, la plupart du temps, peu de résultats. Il faut également souligner qu’en 1944, 2400 Alsaciens environ réfugiés en pays helvète font partie d’une branche du groupe mobile d’Alsace, le GMA-Suisse, et intègrent en septembre au camp de Valdahon et à Ornans dans le Doubs l’année de Lattre afin de prendre part à la dure bataille de Mulhouse en novembre 1944.
Ces petites mains qui ont travaillé pour la Résistance
Différents services de police nazis ont été noyautés par des agents féminins renseignant la Résistance à partir de 1942. Pourquoi cet épisode d’une 5e colonne féminine alsacienne est-il aussi peu connu ?
Vous avez raison de dire que cet épisode en particulier n’est pas vraiment connu. Pourtant, l’historien alsacien et auteur des années 1970 et 1980, Charles Béné, avait déjà évoqué dans ses ouvrages ce problème. Il avait été évidemment difficile pour nombre de ces agents féminins, des secrétaires avant tout, de dire après la guerre qu’elles avaient travaillé dans les services nazis (Zivilveraltung, Gestapo). Aujourd’hui, alors que de nombreux tabous sont en train d’être levés grâce à une bien meilleure connaissance historique de cette période si dramatique, ainsi par exemple comme l’impact des bombardements américains sur Strasbourg en 1943 et 1944, les protestants alsaciens qui acclament Hitler, ainsi que parmi ces derniers certains pasteurs qui optent pour le national-socialisme, est-il possible également d’évoquer ces secrétaires, très jeunes pour la plupart, affectées dans des services nazis ! Des zones d’ombre persistent toujours et il n’est que temps de dire que beaucoup de ces « petites mains » n’avaient pas joué le jeu nazi et qu’elles avaient travaillé pour la Résistance. Il est important de le dire, et surtout de conforter à cet égard les familles de ces jeunes femmes de cette époque. Il faut souligner avec force leur courage et leur patriotisme.
Propos recueillis par Dominique Duwig
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